Préméditations [Gaea]

Invité

Couverte d'un long manteau noir à capuche, Marina marchait d'un pas pressée dans les basses ruelles de Roccianera. Il était un peu plus de dix-heures et bientôt le soleil se coucherait. Traîner dans les sombres ruelles de la ville à cette heure-ci était un peu, voire beaucoup un comportement suicidaire. En effet, cet endroit n'était pas réputé pour savoir accueillir les jolies demoiselles qui s'y aventuraient. Au contraire, il n'était pas rare de découvrir aux premières heures du matin des cadavres de personnes égorgées. Ici, il était facile de régler ses comptes. Mais la jolie brune n'en avait que faire. Motivée par la haine et la jalousie, elle n'avait pas peur de traverser ses rues où tout le monde la dévisageait même si elle s'abritait sous son capuchon. Pas idiote, Marina avait tout de même emporté un poignard qu'elle tenait serrait sous son manteau, au cas où elle se ferait agresser.

La jeune femme savait exactement ce qu'elle cherchait et où le chercher. C'est pourquoi elle suivit les indications pour se rendre à l'Antro. Un bar plutôt mal réputé car y trainait souvent un bon nombre de criminel. Parfait pour Marina puisqu'elle cherchait une personne capable de se débarasser d'une sale petite prostituée pour elle. Et oui, la raison pour laquelle la jeune femme était ici n'était autre que pour éloigner une femme de son bel amour prénommé Vidal Guardio. Elle voulait l'éloigner définitivement et pour cela, il n'y avait qu'une seule solution: lui ôter la vie. Cette envie folle de meurtre lui était apparu lorsqu'elle avait entendu des bruits de Cour circulant parmis ses dames de compagnie. Une histoire comme quoi son Vidal avait organisé une petite soirée arrosée de vin et de femmes. Marina avait appris par la suite qu'une des jeunes femmes s'était un peu trop approchée de son futur mari. Folle de rage, elle avait demandé à ce qu'on la lui décrive dans les moindres détails. On ne touchait pas à son futur mari, même si clairement, aucune date de mariage n'avait été fixé. Cela n'empechait pas Marina, d'ésperer encore et toujours. Quoiqu'il en soit, depuis ce jour, elle n'avait qu'une idée en tête, se débarasser de cette sale petite garce.

Après avoir tourné à gauche, puis à droite, elle vit enfin l'enseigne du bar l'Antro. Elle s'arrêta devant la porte, regarda les alentours, pris une grande inspiration et entra. Le bar n'était pas plein mais le peu de personne présente ne rassurait pas la jeune femme. Néanmoins, elle entra et marcha dignement allant s'installer au comptoir. De là, elle aurait une vue imprenable sur ceux qui arrivaient, et elle pourrait choisir celui qui conviendrait à ses désirs.

- "Suddenly I will play my ace" -
[Fond musical]

L'Antro était un bar de réputation houleuse, cela allait sans dire. Etait-ce là la principale raison pour laquelle la mercenaire s'y rendait plutôt qu'en tout autre lieu de la dangereuse nuit de Roccianera? Certainement y avait-il une sorte de piment dans cette démarche, mais son désir de discrétion, surtout, l'emportait.
Ce qui se passait dans ce bar ne remontait jamais aux oreilles des bonnes gens, à moins d'un hasard stupide qui mettrait une pauvre âme sur le chemin d'une autre, bien plus menaçante, au sortir de ce cloaque charriant la misère de l'humanité dans ce qu'elle avait de moins pardonnable.

Combien d'hommes, combien de femmes, avaient vu le fil de leur vie se scinder juste là, sur ces pavés mille fois rougis d'un sang impur?

C'était ce qu'elle aimait dans ces ruelles.
Les mythes étaient le lierre sanglant qui y courrait en toute part, alimentant l'imaginaire des plus dévots et des plus niais. Ce qui s'y passait, elle en était persuadée, n'était rien d'autre que l'éternelle danse des lames fourbes, celle qu'on ne veut pas voir, et à laquelle ont donne le nom de "morts mystérieuses". Pourquoi serait-ce autre chose? Partout où elle avait vécu depuis qu'elle avait retrouvé la "civilisation" à travers la ville, elle n'avait vu que cela : des meurtres divers aux causes tout à fait communes. Jamais rien de surnaturel.

Mais il était tellement plus simple, pour certains, de faire croire que leur échec tenait à ce que le trouble n'était pas originaire de ce monde, afin de ne pas perdre la face.

Et Roccianera, c'était cela pour Gaea : un nouveau terrain de jeu à conquérir, où elle pourrait s'adonner à son activité favorite en passant, auprès de ces gens pétris de morale et de manières ridicules dont elle abhorrait le mode de vie, pour une créature surnaturelle aux pouvoirs inconnus et terrifiants. Rien que d'y penser, elle en riait. Leur candeur était si méprisable à ses yeux...

Une nuit encore, enveloppée d'un long manteau de peau retournée où se répandaient ses cheveux déliés, vêtue d'une chemise d'homme sous un gilet de cuir lacé, d'un pantalon de coutil noir et de lourdes bottes de cuir abîmées, elle entra dans la tanière des chiens errants de la bourgade alpine.

Humant au passage leur odeur de sueur, de pisse et de vieille carne, qui imprégnait l'entièreté du bar, et à laquelle elle était désormais habituée, elle vit que deux d'entre eux la saluaient, l'un en donnant du pouce dans son chapeau de vieux feutre élimé, l'autre en lui adressant ce qui devait être un sourire, difficile à reconnaître à travers cette rangée de dents manquantes ou cassées.
En leur rendant leur salut par un signe de tête, elle remarqua un fois de plus, sans y faire plus attention, combien l'aspect général de ces types expliquait la paye minable qu'ils lui avaient donnée pour avoir tué un fermier et son fils, accusés d'avoir violé, à l'un sa femme, à l'autre sa fille, mais pas condamnés. La somme avait peu importé tant elle avait eu de plaisir à massacrer ces deux enflures. N'empêche... Elle espérait bien tomber un jour sur un contrat plus juteux.
On entendait, quelque part dans un coin de ce trou à rats, un type en train de vomir ses tripes, à moins qu'elles ne soient régurgitées par un autre orifice.
Sans doute était-ce le fait de l'alcool que l'on trouvait ici, certainement le moins bon du marché, mais que voulez-vous : quand on est alcoolique, pas besoin d'avoir bon goût.

En somme, cet endroit flattait toujours tous les sens de qui était à la recherche du pire. Ce n'était en aucun cas la place d'une femme, du moins pas d'une "vraie" femme, selon ce que l'imaginaire humain construisait la plupart du temps à partir de ce terme. C'était celle des parias, des solitaires, de ceux qu'on ne rattraperait jamais dans leur chute car nul n'avait le bras assez long ou la main assez franche. C'était la place de la tueuse, et elle s'y plaisait.

Mais ce soir-là, c'était différent, et elle le sut en regardant en direction du bar où elle allait s'asseoir, comme de coutume, pour boire un premier verre de mauvaise grappa.

A sa gauche, une silhouette frêle, enfouie dans son mutisme et son isolement, comme une souris qui voudrait se faire la plus inexistante possible dans une cage à chats, sans aucune issue car au moindre mouvement, on lui sauterait dessus (si ça n'arrivait pas avant).
Ce devait être, le plus vraisemblablement, un jeune garçon. Qu'il soit orphelin, perdu, ou en quête d'initiation à la dure réalité d'une vie de pochtron, cela vaudrait toujours mieux que s'il s'était agi d'une fille, même d'une prostituée. Gaea se souvenait encore des efforts qu'il lui avait fallu déployer pour se faire une place ici, au milieu des hommes les plus bassement galeux de la ville.

Mais après s'être faite ces réflexions, elle se dit qu'après tout, autant ne pas y penser, et attendre le moment, s'il devait arriver, où les choses dégénèreraient trop, surtout s'il s'agissait d'un enfant. Qui que soit cet étrange individu qui n'avait même pas commencé à boire alors que le barman était tout près, ce serait bien de sa faute s'il se faisait avoir ce soir. L'Antro n'était pas un endroit pour les faibles, et c'était tout ce qu'il y avait à savoir.

- Salut, louve.
- Grappa, Luigi, répondit la voix grave de Gaea.

Le barman servit une grande rasade d'alcool blanc à sa cliente et retourna à ses verres crades après un regard furtif vers l'inconnu(e).

Invité

Elle avait beau avoir entendu parler de ce bar, rien des rumeurs qui lui étaient parvenues aux oreilles ne refletaient la réalité des lieux. A commencer par l'odeur. Alors que Marina n'était ici que depuis quelques minutes, elle avait déjà eu plusieurs fois envie de courir aux toilettes pour y rendre son dîner. Mais une petite voix lui avait souffler que les toilettes ici, devaient être dans un état encore plus pitoyable que le bar lui même. Alors, difficilement, elle avait pris sur elle et essayer de respirer le moins possible, ou du moins de respirer dans sa capuche. Si sa motivation de tuer cette prostituée n'avait pas été aussi forte, elle serait déjà partie depuis longtemps.

Marina restait la tête penchée, le visage à moitié couvert par sa capuche. La porte ne tarda pas à s'ouvrir sur une silhouette plutôt étrange. Au premier regard, la jeune femme pensa que c'était un homme qui été entré. Mais à y regarder de plus près, Marina se rendit compte que ce n'était pas un homme malgré les habits et la démarche de la personne. Son visage possédait des traits que seul une femme pouvait avoir. La jeune Bruneleschi, regarda cette femme s'installer au bar, avec curiosité. Ici, c'était un bar à homme, que faisait-elle là? Comment y avait-elle gagnée sa place? Elle détourna la tête en esquissant un sourire. Cette personne avait tout de ce que Marina cherchait, du moins à première vue. Elle dégageait une certaine assurance qui plaisait à la jeune femme. Restait à savoir comment l'aborder.

Mais pour le moment, Marina se contenterait de l'observer, le plus discrètement possible. Afin d'être sûre que son apparence collait à sa personnalité. Lorsque la femme commanda une Grappa, Marina se rendit compte de son erreur. Elle était installée au bar depuis plusieurs minutes, sans n'avoir rien commander. De quoi éveiller les soupçons. Elle leva les yeux vers le barman qui lui jetait quelques regards suspects.

"La même chose"

Dit-elle d'une voix qui se voulait désinvolte et sûre à la fois. Le barman la fixa un moment avant de lui servir la boisson. Marina se recroquevilla un peu plus dans son capuchon, pour ne pas être découverte. Mais c'était trop tard. Son comportement l'avait déjà trahi et elle le sut lorsqu'un homme, qu'elle sut ivre mort par son haleine, vint à ses côtés pour lui adresser la parole.

"Alors mon garçon, on s'est perdu? A moins que tu ne veuilles découvrir les joies de l'alcool..."
"Je les connais déjà, laissez moi tranquille"

Répondit-elle tout en serrant les dents et en détournant la tête de l'autre côté. Il ne manquait plus que ça. Si l'homme ne se calmait pas, elle serait bientôt le centre d'attention de tout le bar, ce qu'elle cherchait à tout prix à éviter.

"Pas la peine de m'agresser et puis pourquoi tu te caches comme ça hein? Allez montre nous ton visage..."

L'homme avança une main vers la capuche pour l'enlever tandis que Marina la repoussa, une grimace de dégoût sur le visage. La suite tourna au drame. Il prit ce geste comme une provocation et enleva cette capuche de force malgré les gestes de la jeune femme pour l'en empecher, révélant à tout l'ensemble du bar qui elle était. C'est à dire une jeune femme qui n'avait pas sa place ici, qui faisait une parfaite victime.

"Oh mais regarde moi ce jolie minois!"

Il avança une main vers le visage de la jolie brune mais cette dernière s'esquiva, se leva et se recula avant de dégainer son poignard.

"Ne me touchez pas!"

Marina serrait son poignard dans sa main, fusillant l'homme du regard. Mais ce dernier, bien que saoûle, n'apprécia guerre les manières de la jeune femme. Il fornça les sourcils, s'avançant vers elle pour lui faire payer son geste, tandis que le bar s'agitait suite à cette altercation.

» Partie de chasse [Gaea]
» Gaea V. ~ Une louve dans le jardin du Mal